Festival National du Film
   12ème édition - Tanger 2011
    Edito


      Le cinéma et la philosophie partent de ce qui est impur: des opinions, des images, des pratiques, des singularités, de l'expérience humaine. Et l'un comme l'autre font le pari qu'on peut créer une idée à partir de ce matériau contemporain, que l'idée ne vient pas toujours de l'idée, qu'elle peut venir de son contraire, des ruptures de l'existence, que l'image est faite de l'imagerie du monde, de son impureté infinie. Dans les deux cas, le travail est un combat doublé d'un partage. Le travail de la philosophie est de créer des synthèses conceptuelles là où il y a la rupture ; le travail du cinéma est de créer la pureté avec les conflits les plus triviaux du monde. Voilà la véritable complicité entre le cinéma et la philosophie, voilà ce qu'ils partagent.

      Plus encore, le cinéma est une chance pour nous, philosophes, parce qu'il montre la puissance de la purification, la puissance de la synthèse, la possibilité que quelque chose arrive alors même qu'il existe le pire .Au fonds, le cinéma est une leçon d'espoir pour la philosophie. Le cinéma dit aux philosophes “Rien n'est perdu", précisément parce qu'il traite de ce qu'il y a de plus abject : de la violence, de la trahison, de l'obscénité. Il nous dit alors : ce n'est pas parce qu'il y a cela que la pensée est perdue, la pensée peut triompher dans cet élément-même. Elle ne va pas triompher toujours, elle ne va pas triompher partout, mais il existe des victoires.

Alain Badiou
(Penser le cinéma)
2003